Ou comment des investissements limités et ciblés peuvent augmenter drastiquement la productivité de vos équipes
Cet article, extrait de notre Livre Blanc "La gestion efficace en restauration", s'intéresse à la théorie du goulot d'étranglement et son application à la restauration
Pour bien comprendre la théorie du goulot d'étranglement, commençons par un exemple concret.
Imaginons que de nombreux clients viennent prendre le petit-déjeuner dans votre café, qui propose une offre variée et alléchante de jus de fruits pressés et de bons cafés.
Le matin à l’heure de pointe, chaque client vous demande un café et un jus de fruit pressé.
Chez vous, préparer un jus de fruit pressé prend 25 secondes, préparer un café prend 20 secondes.
Scénario numéro 1 : vous avez deux presses à jus et une seule cafetière. Un premier client arrive, puis après quelques secondes un groupe de plusieurs clients se présente.
Voici la façon dont vos ressources vont être utilisées dans le temps :
Le 5ème café est terminé au bout de 1 min 40, tandis que le 5ème jus de fruit est près au bout de 1 min 15. Conclusion : bien que préparer un café soit plus rapide que préparer un jus de fruit pressé, c’est la cafetière qui représente le facteur limitant (ou “goulot d’étranglement” ) de votre processus de préparation dans ce cas.
Les 2 questions qui se posent alors sont les suivantes :
combien de temps gagnerait-t-on en rajoutant une deuxième cafetière ?
quel serait l’impact financier d’une telle mesure ?
Faisons le schéma du scénario numéro 2, dans lequel vous disposez de deux presses à jus et de deux cafetières, pour y répondre.
Dans ce scénario, vous avez terminé le 5ème café en 1min et le 5ème jus en 1 min 15.
Vous avez donc servi toutes vos commandes en 1 min 15, contre 1 min 40 dans le cas précédent, vous avez donc été 25% plus rapide.
Dans l’hypothèse où votre temps de service est directement proportionnel à vos revenus (ce qui peut être le cas si par exemple des clients potentiels font systématiquement demi-tour dès qu’ils voient que la file d’attente pour le service atteint la porte d’entrée), on obtient un retour sur investissement gigantesque dans ce cas.
Si vous aviez 100 clients le matin, que la nouvelle cafetière vous coûte 500 €, et que vous gagnez 25% de clients supplémentaires qui ne font pas demi-retour pour un ticket moyen de 4 €, la cafetière est rentabilisée en 2 jours et vous gagnez 36 000 € supplémentaires par an, soit 72 fois le coût de la cafetière. Évidemment, c’est un scénario idéal.
Dans les faits, le retour sur investissement sera plus complexe à calculer. Les clients peuvent avoir une certaine résilience à l’attente et les goulots d’étranglements sont susceptibles de se résorber pendant les périodes de creux. De plus, les processus de préparation et de service comportent beaucoup d’étapes et les goulots d’étranglement peuvent apparaître dans différents endroits : nous allons y venir.
Pour nous rapprocher de la réalité, ajoutons au scénario précédent le paiement. On suppose que vous ne disposez que d’une caisse et que l’encaissement des clients prennent 30 secondes.
Le schéma précédent nous enseigne deux choses :
Ici, la caisse est clairement le goulot d’étranglement. La façon la plus simple et efficace d’améliorer le temps de service dans ce contexte est d’acheter une deuxième caisse.
La presse à jus n°2 et la cafetière n°2 sont inutiles. Avec seulement une cafetière et une presse, tous les jus et les cafés sont près en 2 minutes 5 secondes, soit moins que le temps actuel d’encaissement, donc cela ne fait pas perdre de temps.
Conclusion : lorsqu’il existe un goulot d’étranglement important, cela peut rendre obsolète les autres facteurs de production. Ces facteurs de production redondants représentent donc un mauvais investissement, un gâchis financier : il faut donc soit résoudre le goulot d’étranglement, soit se défaire de ces autres facteurs de production.
Personnel et compétence comme facteurs limitants
Notons que l’on s’est placé dans des scénarios où l’on ne manquait jamais de serveurs. Dans le schéma précédent, cinq actions sont effectuées en même temps. Il faudrait donc a minima cinq serveurs pour parvenir à exécuter toutes ces actions simultanément.
Sans surprise, voici à quoi ressemblerait le même scénario que précédemment avec un seul serveur :
Au total, on mettra 6 min 15 à servir les 5 clients : à l’évidence, le nombre d’employé est ici le facteur limitant. C’est le goulot d’étranglement le plus fréquent en restauration.
Et encore : on a ici la “chance” d’avoir un employé qui maîtrise à la fois la préparation du café, des jus pressés et l’encaissement.
Or, au même titre que l’équipement, la compétence (ou plus exactement, le manque de compétence) peut aussi constituer un facteur limitant :
reprenons notre scénario, cette fois avec deux employés, dont l’un ne maîtrise que l’encaissement.
Le serveur n°1 est obligé de faire le jus et le café, que son collègue ne sait pas préparer.
On mettra 3 min 45 à servir les 5 clients.
Si l’on avait eu des serveurs parfaitement polyvalents, maîtrisant chacun les trois tâches, on aurait mis 3 min 15 (je vous épargne le schéma), soit 13% de temps en moins : apprendre certaines tâches supplémentaires à un employé peut débloquer des goulots d’étranglement.
La redondance de certaines compétences au sein de l’équipe est parfois cruciale.
Si dans une équipe de 7 personnes, seuls 2 employés maîtrisent une compétence clef (par exemple, la préparation de sushis), et que l’un d’entre eux tombe malade, il n’en restera plus qu’un pour la maîtriser. Il risque fort de se créer un goulot d’étranglement autour de la production de sushi.
Point à retenir : quels types de goulots d’étranglement rencontre-t-on en restauration ?
Ils peuvent provenir de trois catégories :
- l’équipement (de tout type : four, machine de découpe, caisse enregistreuse, etc.) et l’infrastructure. L’espace de travail par exemple peut constituer un goulot d’étranglement si vos employés sont en compétition pour l’utiliser (un seul espace de découpe pour plusieurs personnes par exemple).
- Le personnel
- Les compétences incontournables, sans lesquelles l’un des produits ou aspects de service du restaurant ne peuvent être proposés.
Pourquoi est-il crucial de gérer les goulots d’étranglement ?
Car c’est l’un des obstacles à ce qui vous empêche d’atteindre une gestion optimale des ressources à disposition.
Comme on l’a vu, un goulot d’étranglement qui entraîne une perte de temps de 10% correspond à un coût additionnel d’autant, qui lui-même se répercute avec un facteur multiplicatif élevé sur votre résultat d’exploitation.
Il faut non seulement les identifier, mais aussi les gérer dans la bonne proportion. Investir trop dans un facteur de production peut s’avérer très contre-productif : équipement sous-utilisé, employé n’ayant aucune tâche à effectuer, etc.
Comment identifier un goulot d’étranglement ?
1. Identifier les files d’attente ou les moments d’attente, aussi bien de vos clients que de vos employés.
Si plusieurs de vos serveurs attendent devant la machine à café que les serveurs précédents aient fini de préparer les leur, c’est probablement que la machine à café constitue un goulot d’étranglement.
De même si vous voyez de nombreux cuisiniers se disputer un coin de table pour faire de la découpe : c'est l'espace de découpe qui fait défaut.
La formation de micro-files d’attente chez vos clients peut également vous mettre la puce à l’oreille. Si une longue queue se forme à la caisse en bout de comptoir tandis que la prise de commande effectuée en début de comptoir ne crée pas de file d’attente, c’est peut être que l’encaissement constitue un goulot d’étranglement. À l’inverse, si la file est en début de comptoir, c’est peut-être la prise de commande qui est sous-staffée. Parfois, ne disposer d'un seul terminal de paiement plutôt que 2 peut créer un goulot d'étranglement.
Enfin, si vous constatez que vos clients attendent souvent longtemps pour une préparation en particulier (un cocktail, des makis, etc.), il se peut qu’il y ait un goulot d’étranglement (en personnel et/ou en équipement) au niveau de cette préparation.
2. Demandez à vos employés.
Il y a de fortes chances qu’ils puissent vous dire quel équipement est en sous-capacité ou sur quels créneaux horaires l’équipe est sous-staffée. On verra que l’enjeu au niveau du personnel est que la capacité de l’équipe doit varier de manière fluide avec le niveau d’activité à chaque instant.
3. Essayer de monitorer le temps d’utilisation de vos équipements.
Par exemple, un four, un robot de découpe ou un lave-vaisselle qui tourne 100% du temps peut signifier qu’il constitue un goulot d’étranglement. Si vous voulez connaître le pourcentage d’utilisation d’un appareil électrique sur la journée, vous pouvez installer un consomètre sur la prise électrique (un consomètre coûte environ 20 € et se branche comme une prise électrique). Cela vous donnera la consommation liée à cette prise en particulier. En connaissant la puissance de l’appareil en fonctionnement, vous pourrez en déduire son taux d’utilisation.
4. La méthode complexe : modéliser les processus de votre restaurant
Vous pouvez essayer de faire des schémas similaires à ceux présentés plus haut. Pour cela, il vous faudra chronométrer la durée de chaque action. Il y a fort à parier que vos processus seront beaucoup plus complexes que ceux présentés dans nos exemples. Cela dit, modéliser vos processus peut s’avérer très utile pour vous donner une vue d’ensemble sur le fonctionnement de vos opérations, pour savoir comment les améliorer et former du nouveau personnel.
Comment gérer un goulot d’étranglement ?
Le but du jeu est de faire disparaître les plus notables en investissant dans la ressource manquante, en suivant les contraintes et les règles suivantes :
1 - C’est pour les goulots d’étranglements dus à l’équipement que le ROI est souvent le plus élevé. En effet, le petit équipement en particulier, même amorti sur sa durée de vie, sera sans doute beaucoup moins cher que la présence de personnel supplémentaire. Si vous voyez un goulot d’étranglement lié à un manque de petit équipement, foncez en acheter davantage !
2 - Pour les goulots d’étranglements liés au personnel, priorisez ceux qui peuvent être résolus par la formation. Si une formation de quelques heures suffit à transmettre une certaine compétence, il est très probable que vous ayez un ROI supérieur à 1 sur cet investissement. La polyvalence de vos employés est d’autant plus importante que l’équipe est petite ! Les redondances de compétences vous protègent en cas d’absence imprévue au sein de l’équipe.
3 - Faites très attention à la saisonnalité (journalière, hebdomadaire et / ou annuel) de ce facteur limitant. Ajuster son staff à la saisonnalité de la fréquentation est un sujet important sur lequel nous allons revenir. Pour l’équipement, vous pouvez également essayer de louer certains types de gros équipements en haute saison si vous ne l’utilisez qu’une petite partie de l’année.
4 - Aucun des facteurs de production n’échappe à la loi des rendements décroissants. Inutile d’avoir trop de redondance d’un même facteur de production. N'investissez que si le goulot d’étranglement est réel et fréquent, sinon vous vous retrouverez avec un facteur de production sous-utilisé.
Bonne chance !
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