Comment font les ghost kitchens pour augmenter leur rentabilité ?
Avec la crise sanitaire liée au COVID, les ghost kitchens se sont retrouvées dans l'œil du cyclone de la restauration.
D’un côté, la demande pour la livraison à domicile a fortement augmenté (de 17% rien que pendant la première période de confinement). Cela a permis aux ghost kitchens de développer leur base de clients, et de briller dans ce qui constitue leur cœur de métier, la préparation de plats faits pour être livrés, par rapport à d’autres restaurateurs moins expérimentés dans ce domaine.
D’un autre côté, de nombreux restaurants qui ne proposaient pas la livraison, poussés par les circonstances et la nécessité, ont dû s’y mettre. Si, au début du confinement, certains ont décidé de simplement baisser les stores, beaucoup ont finalement changé leur fusil d’épaule et choisi de se lancer dans le domaine de la livraison. C’est une bénédiction pour les applications de livraison : plus de 2000 restaurants ont rejoint la plateforme Just Eat en France pendant le confinement. En revanche, cette concurrence exacerbée n’est pas une bonne nouvelle pour les ghost kitchens, dont le marché-cible devient de plus en plus encombré et compétitif.
Reste que les ghost kitchens continuent leur expansion effrénée. Taster, le plus gros acteur français, compte 11 cuisines ; Kitchen Club, le deuxième français, en possède 4, et Keatz, la startup Allemande, en comptait déjà 10 en 2019*.
Ce qui soulève une question : comment font les ghost kitchens pour être rentables, dans ce secteur si compétitif qu’est la restauration, sachant que les services de livraison prennent des commissions très importantes ? En effet, Deliveroo prend des commissions allant de 20% à 25%, tandis que celles de Foodora montent à 30% : comment, dès lors, dégager un surplus ?
Observons plus en détail leurs stratégies.
1 - Développer plusieurs marques
Taster possède 5 marques (Bian Dang, cuisine taïwanaise ; Out Fry, coréenne ; Mission Saigon, vietnamienne ; Stacksando, japonaise ; et A Burgers, burgers classiques) ; Kitchen Club en possède 4 (Saint Burger, burgers classiques ; Fat Fat, friterie canadienne ; Chicken Club, spécialité de poulets braisés; et Mama Roll, des wraps) tandis que Keatz n’en compte pas moins de 8 !
Posséder un éventail de marque est un point essentiel de la stratégie des ghost kitchens. En effet, cela leur permet de faire un “strike” financier, tant sur la rationalisation des coûts que sur leur capacité à vendre, qui s’exprime de la manière suivante :
Vendre plusieurs marques différentes leur permet de multiplier le nombre de consommateurs qu’ils touchent et donc d’augmenter leur volume et leur CA. Les utilisateurs de services de livraison se décomposent en des centaines de micro-marchés (ceux qui aiment surtout l’asiatique et un peu les burgers ; les inconditionnels des sushis ; ceux qui veulent raffolent du poulet braisé mais apprécient le mexicain et l’italien de temps et temps ; etc.). La diversité des goûts oblige donc à fournir une offre variée pour se positionner sur autant de “micro-marchés” que possible : on ne parviendra jamais à faire manger la même chose à tout le monde (et c’est tant mieux). Et, c’est chose connue en restauration, il ne vaut mieux pas essayer de loger tous ces types de cuisine à la même enseigne, sous la même marque. En effet, qui ferait confiance à un restaurant qui propose à la fois des burgers, des bobuns traditionnels vietnamiens, du poulet frit coréen et des wraps mexicains, au sein d'un même menu ? D’où l’importance de bien séparer les marques et de les marketer différemment.
Le fait de concentrer plusieurs marques au même endroit leur permet en retour de mutualiser les ressources utilisées par ces différentes marques :
locaux - tous les plats sont préparés au même endroit,
employés - ils préparent des plats pour chacune des marques
ingrédients - plus marginalement, certains ingrédients peuvent être réutilisés d’une marque à l’autre
Cette rationalisation économique est l’un des leviers puissants permettant aux ghost kitchens d’être financièrement compétitives. Mais cet atout économique ne s’arrête pas là, comme nous allons le voir.
2 - Négocier les commissions des plateformes de livraison
La loi des grands volumes permet également aux ghost kitchens de négocier les commissions (traditionnellement importantes) que demandent les plateformes de livraison. Les grandes ghost kitchens parviennent à faire baisser la commission de 30% jusqu’à 22-25% en moyenne si elles réalisent des volumes suffisants. Cela représente un gain conséquent !
Et bien sûr, le fait de gérer des volumes importants leur permet également de négocier avec leurs fournisseurs de matières premières pour faire baisser le coût des ingrédients, comme le font les chaînes de restauration.
3- Utiliser des données pour savoir quelles ‘marques’ développer
Le choix des marques dont nous parlions dans le premier paragraphe est essentiel.
Il est important de bien cerner le marché que l’on souhaite viser et d’apporter la bonne offre.
Pour ce faire, quelques outils :
Les plateformes de livraison bénéficient d’une vue d’ensemble de la place de marché. Par conséquent, elles peuvent fournir des informations très intéressantes sur les types de cuisine pour lesquelles il y a le moins d'offre et qui sont les plus demandées. C’est là qu’il faut essayer de se positionner !
Cela varie par ville, parfois même par quartier.
Il y a cependant des tendances nationales : en 2020 par exemple, le grill, le street-food, les pâtes fraîches et les plats eco-friendly ont connu un boost de leur activité.
Bien souvent, ce ne sont pas les offres les plus “classiques” (sushi, pizza, burger) qui font défaut. Au contraire, il peut être salutaire de se positionner sur des segments moins connus, et d’avoir un facteur distinctif qui permet de sortir du lot. Il vaut souvent mieux être leader dans un petit segment que le vingtième arrivant sur un segment populaire.
4 - Investir dans ses marques
Une fois les marques créées, les ghost kitchens communiquent dessus à outrance sur les réseaux sociaux. Le but : fidéliser leurs clients, en leur montrant que la marque partage leur état d’esprit et leurs valeurs et “résonne” avec eux. En fait, ce sont des stratégies que l’on retrouve chez les grandes chaînes de restauration.
Attention toutefois, pour une ghost kitchens qui propose des plats de 5 types de cuisines différentes, le message peut vite être brouillé, car trop de produits différents peuvent tuer l’image de marque.
Il faut donc être capable de garder suffisamment d'unité (par exemple, en uniformisant la charte graphique d’une marque de restauration à l’autre pour que le client identifie toujours la maison mère).
Ce qu’on ignore à ce stade, c’est à quel point les ghost kitchens sont capables de faire du “cross-selling” sur leur base de clientèle, c’est-à-dire à faire en sorte que des clients ayant consommé des plats d’une de leurs marques deviennent également consommateurs des autres marques, grâces aux actions marketing. Voilà qui pourrait être un autre levier puissant.
5 - Rationaliser l’espace
Le dernier atout des ghost kitchens, c’est leur utilisation de l’espace. Elles combinent 3 avantages leur permettant de diminuer le ratio des frais d’occupation sur leur compte de résultats :
Avoir plusieurs marques dans un même emplacement permet d’économiser non seulement l’espace de cuisine mais aussi de mutualiser les équipements.
Ne pas avoir de salle avec des places assises permet évidemment de réduire la surface nécessaire à leur implantation et donc de réduire les coûts.
Elles peuvent s’implanter en périphérie des villes, dans des lieux moins passants.
Sachant que des frais locatifs dans des grandes villes peuvent être élevés (une belle brasserie parisienne peut facilement dépenser 120 000 EUR par an rien qu’en loyer), c’est un atout majeur.
En espérant que ces petites remarques stratégiques pourront vous aider le jour où vous voudrez créer une ghost kitchen !
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*À la date où j’écris, début 2021, difficile d’avoir de la visibilité sur l’expansion de Keatz. Leurs sites, Keatz.com et Keatz.de, sont indisponibles, fait très étrange qui pourraient indiquer des difficultés financières ou une banqueroute ? Pourtant, impossible de trouver des informations qui pourraient corroborer cette hypothèse, qui elle-même serait assez étonnante puisqu’ils ont levé 12M€ massivement en 2019, et que la restauration à emporter a augmenté de 245% en Allemagne à cause du confinement.
Source :
https://www.lefigaro.fr/conso/covid-19-les-plateformes-de-livraison-de-repas-a-domicile-s-en-sortent-bien-20200805
Chiffres restauration à domicile : baromètre E-commerce Foxintelligence
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